- GÉNIE CHIMIQUE
- GÉNIE CHIMIQUEL’industrialisation de la réaction chimique consiste à mettre en œuvre celle-ci dans les conditions les plus économiques qui soient et en travaillant, le plus souvent, sur des masses considérables. C’est au génie chimique de définir les installations où se déroulent les réactions chimiques et leurs conditions d’exploitation.Le chimiste de laboratoire s’intéresse surtout au mécanisme des réactions, par exemple à la nature des états activés des molécules; il raisonne à l’échelle de la liaison chimique et des structures moléculaires, c’est-à-dire à l’échelle du nanomètre. L’ingénieur qui met en œuvre la réaction chimique s’attaque en fait à des phénomènes macroscopiques qui, malgré leur prodigieuse diversité apparente, sont presque toujours des phénomènes de transfert d’un point à un autre, ou d’une phase à une autre (transferts de masse, d’énergie, de quantité de mouvement), qui accompagnent ou conditionnent les opérations chimiques ou physiques. S’il n’ignore pas le jeu de destruction et de restructuration de l’architecture fine de la matière, ce n’est pas cette connaissance qui est le plus utile à son action, mais celle des cinétiques globales des transformations, commandées à la fois par la vitesse des réactions chimiques (liée à leurs mécanismes intimes) et par les mécanismes qui assurent la rencontre des molécules. Le génie chimique s’intéresse donc aux différents courants tels que les courants des composants (ou de leur masse totale, complétée par la connaissance des diverses concentrations), le flux de chaleur et plus généralement d’énergie, les quantités de mouvement, etc.; mais il lui faut connaître en outre les variables qui caractérisent en chaque point l’état du système (pression, température...).1. Historique et méthodologieLe génie chimique est une science relativement récente. Le premier ouvrage didactique, The Handbook of Chemical Engineering (Manuel de génie chimique ), a été écrit en 1901 par George E. Davis, professeur à la Manchester Technical School; il analyse les technologies des procédés chimiques en les ramenant à une série d’opérations fondamentales: distillation, évaporation, séchage, etc., et décrit les opérations comme des procédures d’utilité pratique, sans les rattacher à des concepts physiques fondamentaux. Il s’agit d’une approche «chimie industrielle», principalement d’origine européenne, dans laquelle ingénieurs chimistes et ingénieurs mécaniciens forment équipe pour fabriquer des produits à grande échelle.L’autre approche, correspondant à la conception surtout américaine du génie chimique, a repris l’analyse de Davis, en lui donnant les bases physiques indispensables. Elle s’est matérialisée par la publication en 1923 d’un ouvrage de Walker, Lewis et McAdams, professeurs au Massachusetts Institute of Technology, Principle of Chemical Engineering . Spécialistes de chimie industrielle, ces ingénieurs ont fait la même constatation que Davis: les grands procédés de l’industrie chimique font toujours intervenir les mêmes opérations physiques, couplées à des réactions chimiques spécifiques. Ils ont proposé une nouvelle présentation de la chimie industrielle, qui était jusqu’alors essentiellement descriptive, en donnant aux diverses opérations physiques le nom d’opérations unitaires et en définissant les concepts nécessaires aux calculs prévisionnels.En France, il a fallu attendre 1938 pour que les professeurs J. Cathala et M. Letort définissent le génie chimique comme la science de l’ingénieur ayant pour objet de concevoir, de calculer et de faire fonctionner, à l’échelle industrielle, l’appareillage dans lequel s’effectuent des transformations physiques ou chimiques.Cette première étape unificatrice franchie, la réflexion s’est poursuivie pour aboutir à une nouvelle présentation encore plus synthétique de ces opérations. Elle s’est matérialisée par la publication en 1960, par R. B. Bird, W. R. Stewart et E. N. Lighfoot, d’un ouvrage important, Transport Phenomena . Constatant que les opérations unitaires sont régies par des phénomènes de transport et de transfert entre phases, de matière, de chaleur et de quantité de mouvement, ces auteurs ont mis ainsi en évidence l’intérêt du concept de cinétique physique .Mais, traitant de l’industrie chimique, qu’a-t-on fait de la réaction chimique? À vrai dire, opérations unitaires et réactions sont intimement liées au cours des diverses transformations. Si l’on se réfère par exemple à l’industrie pétrolière, un des domaines de prédilection de l’utilisation du génie chimique, les transformations concernent le craquage d’hydrocarbures (naphte) avec une coupure de la molécule initiale en molécules élémentaires, puis la synthèse d’un élément de base, l’éthylène par exemple, pour aboutir ensuite à la fabrication d’un polymère. Dans l’ensemble de cette filière, réactions et opérations unitaires sont nombreuses. Dans un domaine très différent, qui est celui de la transformation d’un produit agricole en aliment avec toutes les spécifications que cela requiert au niveau hygiénique et organoleptique, il faut intervenir par des réactions biochimiques de base, impliquant un simple chauffage (cuisson) ou des éléments biologiques (enzymes ou micro-organismes) et des opérations unitaires de conservation de la matière aux fins de la stabiliser. Ces deux exemples pris dans des domaines fort différents montrent que les opérations unitaires, impliquant les phénomènes de transfert, et les réactions chimiques sont toujours intimement liées. Elles peuvent l’être à l’intérieur d’un seul appareil, le réacteur , dont il faudra toujours analyser avec soin le fonctionnement pour savoir, dans la compétition qui existe entre cinétique physique et cinétique chimique, laquelle impose sa limite. Cette étude correspond au génie de la réaction chimique, dont l’étape marquante a été la publication en 1972, par O. Levenspiel, de son ouvrage Chemical Reaction Engineering .Dès qu’un procédé met en œuvre une transformation chimique ou biochimique, il y a couplage entre les opérations unitaires et le réacteur, mais c’est ce dernier qui est la pièce maîtresse du procédé (fig. 1). Le reste de l’installation sert à préparer les courants de réactifs ou à séparer les produits formés. L’ingénieur de génie chimique met en œuvre une méthodologie rationnelle, pour obtenir la meilleure façon de réaliser chaque séquence, une combinaison optimale entre les appareils, et aboutir aux recyclages de matière et d’énergie les plus appropriés, en résumé proposer un réseau organisé d’appareils qui vont constituer une usine de traitement.Avant d’en arriver à ce stade, l’ingénieur devra procéder à l’examen détaillé des mécanismes de transport et de transfert de matière, de chaleur et de quantité de mouvement qui ont lieu dans les produits. Cet examen peut se faire soit au niveau moléculaire, avec une description de la viscosité, de la conductivité thermique et de la diffusivité des matériaux à partir du modèle des molécules qui les composent; soit au niveau des milieux continus: négligeant les mouvements moléculaires, on concentre son attention sur les équations différentielles partielles (équation de mouvement, de continuité et d’énergie) qui décrivent les profils de vitesse, de concentration et de température; ou encore au niveau de l’équipement: on s’intéresse essentiellement aux relations entre les quantités qui entrent et qui sortent de l’équipement ou d’une portion de celui-ci.Une fois les mécanismes analysés, il faut acquérir les données cinétiques des mécanismes limitants qui imposeront leur allure et entraîneront le choix des appareils et de leurs dimensions, donc celui des temps de séjour.Il reste à l’expert du génie chimique à modéliser les phénomènes et à résoudre les systèmes d’équations, et cela par des méthodes graphiques, analogiques, analytiques, et, aujourd’hui, par des méthodes numériques. La modélisation systématique des phénomènes et l’utilisation de plus en plus fréquente des ordinateurs ont donné naissance dans les années 1970 à de nouvelles activités relevant du génie chimique: la simulation des procédés (flowsheeting ), la conception assistée par ordinateur pour leur élaboration optimale, leur contrôle et leur conduite automatique et enfin la mise au point de systèmes experts dans le cadre du développement de l’intelligence artificielle. Ainsi, le génie chimique, science jeune, a rapidement évolué et provoqué la création de toute une série de génies épigones: génie agro-alimentaire, génie biochimique, génie sanitaire, etc., au point qu’aujourd’hui on parle de génie des procédés : il s’agit de l’application, à d’autres domaines, de la méthodologie propre au génie chimique.Le contexte économique mondial est tel que les nouvelles unités de chimie classique lourde qui correspondent à la fabrication des produits de base se construisent de plus en plus souvent à proximité des sources de matières premières et des sources d’énergie: c’est le cas de la pétrochimie qui se développe dans les pays du golfe Persique, des fabrications d’engrais au Maroc ou en Tunisie, de l’ammoniac au Canada, etc. L’avenir de la chimie dans les pays industrialisés dépourvus de matières premières semble en revanche résider dans la fabrication de produits à haute valeur ajoutée: industrie pharmaceutique, bio-industries (avec utilisation d’enzymes et de micro-organismes), fabrication des composants électroniques ou des matériaux composites. Dans les années quatre-vingt, I.B.M. est l’une des sociétés qui a le plus embauché d’ingénieurs de génie chimique aux États-Unis. Dans ce pays, jusqu’en 1981 environ, 75 p. 100 des ingénieurs de génie chimique trouvaient leur premier emploi dans l’industrie chimique et/ou pétrochimique, alors que presque personne n’entrait dans l’industrie électronique. Ensuite, les proportions industrie chimique ou pétrochimique et industrie électronique se sont inversées.On est conduit à se demander si la méthodologie du génie chimique, qui s’est révélée parfaitement adaptée pour dimensionner de grandes installations fonctionnant en régime permanent (pour fabriquer, par exemple, un monoproduit à raison de 1 000 t/j), pourra être employée avec succès pour calculer des unités de taille beaucoup plus petite (production de 100 à 1 000 t/an), mais surtout fonctionnant en discontinu et devant servir à fabriquer différents produits dont la plupart auront une pureté supérieure à 99,9 p. 100?2. Les bases scientifiquesLois d’équilibre entre phasesLa connaissance des lois d’équilibre entre phases, par une analyse thermodynamique du système ou, tout simplement, par une série d’expériences, est fondamentale pour savoir si une séparation est possible ou non. L’examen des courbes d’équilibre permet d’apprécier a priori si l’opération unitaire envisagée sera plus ou moins difficile à réaliser.Les lois d’équilibre entre phases sont tirées des principes de la thermodynamique des solutions, notamment par l’application du deuxième principe, en écrivant, pour les phases en présence, l’égalité des potentiels chimiques de chaque constituant (conditions d’un équilibre stable). Si nous considérons deux phases G et L et si nous explicitons chaque potentiel chimique en fonction d’un potentiel dit standard 猪i 0, de la fraction molaire xi et d’un coefficient d’activité 塚i , nous pouvons écrire de manière générale:T étant la température absolue et R la constante des gaz parfaits.Les lois d’équilibre les plus simples qui sont accessibles par la théorie sont celles des solutions diluées. Entre un gaz et une vapeur, la pression partielle Pi d’un composé i en équilibre avec un liquide de fraction molaire xi et de tension de vapeur Pi 0 s’écrit par exemple:Les coefficients d’activité 塚i sont pour leur part corrélés entre eux. Ils sont égaux à l’unité pour une solution idéale. De la connaissance des 塚i , on peut reconstituer la fonction d’équilibre complète du système.Analyse fonctionnelle des procédésLe génie chimique s’intéresse principalement aux bilans matière et énergie fondés sur le premier principe de la thermodynamique:Les bilans systématiques sont essentiels pour le calcul des installations, mais aussi pour renseigner l’ingénieur sur la bonne marche d’un appareil (identification d’une fuite, vérification de l’obtention d’un régime permanent...). Les bilans peuvent concerner l’ensemble du système, ou porter sur un élément «différentiel» d’échange; ils peuvent être globaux, toute forme de matière étant alors confondue, ou encore relatifs à un produit donné. À titre d’exemple, un bilan réalisé entre un point indéterminé d’un système et une sortie quelconque de ce système permet d’établir l’équation de la courbe dite opératoire, qui décrit les variations de concentration des phases au niveau des courants qui traversent toute section droite de l’unité en question. Sous forme graphique, et par juxtaposition avec la courbe d’équilibre, on peut évaluer de la sorte le nombre d’éléments d’échange (ou étages) nécessaires pour assurer une transformation donnée de la matière. C’est sur ce principe que se fonde la méthode de calcul du nombre d’étages théoriques d’une colonne avec un tracé en escalier entre la courbe opératoire, souvent assimilée à une droite, et la courbe d’équilibre (fig. 2).Cinétique de transfertOn distingue fondamentalement deux types de cinétique: la cinétique chimique, qui étudie les vitesses de transformation de la matière par voie réactionnelle, et la cinétique physique, qui concerne les transferts par diffusion (moléculaire ou turbulente).Cinétique chimiqueDe manière très générale, la formation ou la disparition d’un composé par transformation chimique ou biochimique peut être décrite par un schéma réactionnel du type:On peut la suivre au cours du temps en observant l’avancement 﨡 de la réaction, 﨡 étant défini par l’une ou l’autre des équations suivantes:où [A], , ...[X], ...[Y] désignent les concentrations molaires.La vitesse de réaction (ici, production du composé X) s’exprime au moyen de l’équation générale:où k désigne la constante de vitesse de réaction, qui dépend de la température selon la loi d’Arrhenius, et où 見, 廓 et 塚 sont les ordres de la réaction par rapport respectivement à A, B et C, à déterminer expérimentalement.Le chimiste, ou le biochimiste, a pour mission de découvrir expérimentalement les schémas réactionnels et les ordres de la réaction (cinétique, mécanistique et formelle). Il appartient en revanche à l’ingénieur de génie chimique de concevoir et de calculer les réacteurs industriels à partir de ces informations de base et de ses propres connaissances en cinétique physique (cf. Application des principes du génie chimique ).[b]Cinétique physiqueLa cinétique physique moléculaire, c’est-à-dire celle qui concerne les transferts dans des milieux immobiles ou en écoulement laminaire, s’appuie sur une loi élémentaire générale du premier ordre, qui explicite que le flux 﨏x d’une entité transférée – matière, chaleur ou quantité de mouvement – dans une direction x donnée est le produit de la diffusivité par un gradient de potentiel d’une propriété volumique 戮v :Le signe négatif illustre le fait que le transfert s’effectue dans le sens des potentiels décroissants. 戮v peut ainsi représenter une concentration de matière, C une enthalpie volumique, 福Cp T une quantité de mouvement rapportée à l’unité de volume 福U. Si nous remplaçons successivement 戮v par l’une de ces grandeurs, nous retrouvons les trois lois de base du génie chimique:Les analogies de forme entre ces équations, qui sont surtout évidentes dans le cas de transferts unidirectionnels, appellent des analogies de comportement entre les phénomènes de transfert de matière, de chaleur et de quantité de mouvement. On tire parti de cet état de fait en considérant que nombre de résultats concernant les transferts de chaleur sont encore valables pour les transferts de matière, et réciproquement, par une conversion adéquate entre les grandeurs.Dans le cas de transports turbulents, on peut généraliser les lois précédentes en écrivant que la diffusivité se décompose en la somme d’une diffusivité moléculaire et d’une diffusivité turbulente provenant directement de la présence de tourbillons dans l’écoulement:L’évaluation de t est faite par expérience.Une autre méthode très fructueuse consiste à écrire arbitrairement que le flux de matière ou de chaleur transféré entre phases et/ou entre fluide et paroi est proportionnel à une différence de potentiel d’échange. Le coefficient de proportionnalité h est appelé coefficient d’échange ou de transfert:3. Les bases techniquesLe principe fondamental de toute opération de transformation de la matière est toujours le même. Il consiste à préparer les courants contenant les produits de base en réalisant un contact intime des phases en présence; à permettre que se développent des réactions et des transferts de matière et de chaleur, sous les différences de potentiel adéquates; à séparer les phases et les constituants du mélange résultant. Tout procédé se résume ainsi à un ensemble d’opérations unitaires et de réacteurs qui font appel à des technologies différentes pour assurer les échanges.Opérations unitairesPour l’essentiel, les opérations unitaires sont des opérations mettant en jeu des transferts de nature physique: elles visent à concentrer ou à séparer les constituants d’un mélange. Le choix de l’une ou de l’autre dépend de différentes considérations: la possibilité effective de séparation sur des bases thermodynamiques, par exemple une différence appréciable de température d’ébullition dans le cas d’une distillation; la possibilité offerte par la cinétique physique d’avoir un transfert plus ou moins rapide selon la nature des phases en présence; la volonté d’utiliser préférentiellement certaines sources d’énergie (séparations mettant en jeu, par exemple, de l’énergie électrique); le souhait d’économiser de l’énergie ou de diminuer les frais de fonctionnement ainsi que celui d’abaisser les coûts d’investissement.Le tableau 1 présente un classement des opérations unitaires à partir des quantités d’énergie thermique mises en jeu. On distinguera les opérations dont les échanges n’engendrent pas, ou pratiquement pas, de transferts de chaleur; celles qui, au contraire, nécessitent des apports ou des retraits importants d’énergie par suite d’un changement d’état physique de la matière; les opérations mixtes qui se déroulent de manière isotherme ou non selon les concentrations considérées et qui intéressent notamment les épurations en présence d’une phase gazeuse inerte en large excès.Pour faciliter et rendre plus efficace les séparations, il peut être judicieux de mettre en œuvre simultanément plusieurs opérations unitaires aux fonctions complémentaires (séchage et adsorption par exemple). Dans le même esprit, les opérations unitaires peuvent être couplées avec des réactions chimiques. Une des tendances actuelles de la bio-industrie est, par exemple, d’extraire en continu des fermenteurs, par des séparations sur membranes, les métabolites qui, en forte concentration, exerceraient un effet inhibiteur à l’égard des systèmes enzymatiques ou des micro-organismes présents (couplage ultrafiltration - bioréacteur).RéacteursLes réacteurs sont les appareils qui, au cœur d’une unité de transformation industrielle de la matière, sont destinés à permettre à une réaction chimique ou biochimique de s’accomplir. Ils peuvent être classés en fonction du mode ou des techniques de mise en contact de phases utilisés (réacteurs en lit fluidisé, réacteur tubulaire par exemple) ou de la nature des phases en présence (réacteurs homogènes ou réacteurs hétérogènes). Il est commode de différencier les appareils suivant le mode d’alimentation: alimentation par charges discontinues («batch», «semi-batch»), qui offre l’avantage de permettre un traitement uniforme de la matière, mais qui implique un suivi permanent de l’opération selon un programme préétabli; ce type d’appareil a la faveur des industriels pour les opérations jugées très délicates (bioréacteurs)et les petites productions (chimie fine); ou alimentation continue et soutirage correspondant; cette solution est en général préconisée pour bénéficier des avantages du régime permanent et d’une assistance moindre.La conception rationnelle des réacteurs est examinée plus en détail à la fin de cet article.Techniques employéesTransferts entre phasesDans le cas d’opérations unitaires, l’organe élémentaire d’échange est l’« étage » ou « plateau », élément technologique fondamental qui a pour fonction de mettre en contact les phases afin de provoquer des transferts de matière, de les mélanger intimement jusqu’à l’obtention d’un état proche de l’équilibre, puis de les séparer (fig. 3). Lorsque les phases issues de cet étage sont en équilibre entre elles, au sens thermodynamique du terme, l’étage est dit théorique ou parfait, offrant ainsi une efficacité de 100 p. 100.Un étage, même parfait, assure rarement à lui seul l’enrichissement désiré. Souvent, une série d’étages est employée, la variation de concentration étant d’autant plus importante que le nombre d’étages est plus élevé. Au fur et à mesure que les phases progressent dans les appareils, elles subissent un enrichissement ou un appauvrissement, mais l’évolution du transfert de matière dépend surtout du mode de mise en contact qui a été retenu. Fondamentalement, il existe trois modes de mise en contact des phases, comme le montre la figure 4:– les échangeurs à contre-courant, dits encore méthodiques, assurent les efficacités de séparation les plus grandes, permettant la sortie de deux phases complètement purifiées aux deux extrémités de l’appareil;– les échangeurs à co-courant, ou antiméthodiques, pour lesquels les phases sortent au mieux en équilibre mutuel comme si elles étaient intimement mélangées, si bien que cette solution équivaut à un seul étage théorique;– les échangeurs à courants croisés; cette disposition autorise des échanges multiphases, mais avec des temps de contact généralement courts entre les phases, car elles ne cheminent pas ensemble.Types d’écoulementsParallélement aux trois types d’échangeurs mentionnés précédemment, il convient de prendre en considération la nature de l’écoulement et la distribution des temps de séjour qui en résultent. Il existe deux situations limites:– L’écoulement piston, caractérisé par le fait que tous les éléments situés dans une section droite d’un échangeur tubulaire progressent à la même vitesse, comme poussés par un piston. Le temps de séjour dans l’échangeur est théoriquement le même pour tous les éléments d’un même courant: on obtient de la sorte un traitement très uniforme de la matière.– Le mélange parfait, qui se traduit par l’uniformité des propriétés physico-chimiques (concentration, température) en tout point de l’appareil. En réalité, il y a lieu de distinguer entre macromélange à l’échelle de l’appareil et micromélange à l’échelle d’éléments différentiels. Dans le cas d’un fonctionnement continu, le mélange parfait donne lieu à un saut brusque de concentration à l’entrée dans l’appareil. Mais sa caractéristique majeure est surtout la dispersion ou distribution des temps de séjour (D.T.S.) des éléments d’une même phase: certains quittent l’appareil dès l’introduction en véritable court-circuit, d’autres séjournent très longtemps par suite de recirculations. C’est un gros inconvénient auquel il importe de remédier. Une solution est de mettre en série plusieurs mélangeurs parfaits, car on réduit ainsi l’écart de dispersion.Toute unité réelle de transformation de la matière présente un cas intermédiaire entre, d’une part, la situation du mélangeur (parfait ou non), avec éventuellement un court-circuit ou, à l’inverse, de véritables zones mortes, et, d’autre part, la situation de l’écoulement piston avec un mélange longitudinal plus ou moins accentué.Techniques de mise en contact de séparation de phasesLes quantités de matière (ou de chaleur) échangées ou transformées dans une opération industrielle sont proportionnelles à une différence de potentiel et à la surface offerte. On a donc intérêt à avoir une surface maximale par unité de volume de contacteur. Dans ce but, on utilise des milieux « dispersés » constitués, par exemple, par des bulles de gaz dans un liquide ou par de fines particules dans un courant fluide. Dans tous les cas, on essaie de maintenir une surface de contact importante en évitant, si c’est nécessaire, les phénomènes de coalescence entre les gouttes ou entre les bulles de gaz. Pour obtenir de bonnes intensités de transfert, il est essentiel que les tailles des globules ou des particules soient petites, et aussi relativement uniformes. On s’oriente de plus en plus vers l’utilisation de contacteurs à trois phases, par exemple la fluidisation de particules solides par un liquide avec injection de gaz. Des applications intéressantes sont envisagées en bio-industrie.On trouvera au tableau 2 un classement des techniques de mise en contact des phases selon leur mobilité relative et le mélange qu’elles produisent. L’échange réalisé, on sépare les phases. Dans la majorité des cas, cette opération ne se fait pas aisément, car les propriétés physiques dont l’influence a été bénéfique pour la mise en contact (masse volumique, tension superficielle, viscosité) s’opposent à la séparation. On peut classer les opérations de séparation en fonction de la nature du champ de force appliquée: champ de gravité (décantation), champ de pression (filtration), etc.Aspect énergétiqueToutes les réactions et opérations unitaires de séparation nécessitent des échanges d’énergie appropriés avec le milieu extérieur: fourniture d’énergie mécanique pour faire circuler les produits, imposition de pressions favorables à l’accomplissement des réactions et des transferts, fourniture d’énergie thermique pour créer les différences de potentiel ad hoc, c’est-à-dire les différences de température propices aux échanges ou à la rupture des liaisons avec la matière (chaleur de réaction, chaleur de sorption), etc. Pour leur part, les réactions mises en jeu peuvent à leur tour fournir de l’énergie au milieu extérieur (énergie thermique).Il faut tirer le meilleur parti des potentialités énergétiques et des affinités des produits (au sens thermodynamique) de manière à obtenir un bilan aussi favorable que possible. Il s’agit de trouver le bon compromis entre, d’une part, la dépense énergétique qui est destinée à améliorer les cinétiques de transfert et qui concourt de ce fait à une augmentation de la compacité des appareils (diminution des frais d’investissement) et, d’autre part, des économies sur les frais de fonctionnement avec l’établissement d’échanges plus lents, donc des appareils plus volumineux.Le tableau 3 présente les techniques de transfert et de transformation de l’énergie. On peut distinguer les opérations de conversion réciproque d’énergie (dégradation d’énergie mécanique en énergie thermique ou, au contraire, production d’énergie mécanique à partir de sources thermiques), les opérations d’échange d’énergie mécanique (mise en charge d’un fluide par une pompe), les opérations d’échange thermique (échangeurs de chaleur). Sans la mise en œuvre de ces opérations, qui requièrent en général des dispositifs technologiques assez complexes, aucune transformation de la matière n’est possible à l’échelle industrielle.4. Procédure de traitement d’un problème de génie chimiqueAvant de préparer un produit à partir d’une matière disponible, il faut avant tout concevoir le procédé de fabrication et donc définir les diverses opérations unitaires, choisir le réacteur, optimiser le procédé et enfin envisager son contrôle et sa commande. Toute une panoplie d’ordinateurs est utilisée à ces différentes étapes, depuis l’ordinateur très puissant pour les calculs d’appareillage et la simulation des procédés jusqu’aux micro-ordinateurs pour la commande d’un appareil. La principale préoccupation des industriels est de choisir, en prenant le minimum de risque, le procédé et les équipements. Les exigences de la compétition industrielle (coûts de production, qualité des produits, flexibilité, environnement...) imposent de concevoir, de réaliser et d’exploiter des systèmes de production qui soient de plus en plus performants et, par conséquent, souvent très compliqués.Dimensionnement de l’appareillageLe premier appareil à dimensionner est le réacteur, car ses performances ont une incidence sur le reste de l’installation. En effet, si les performances du réacteur sont médiocres (sélectivité, rendement, etc.), il faudra mieux préparer les courants entrants et envisager vraisemblablement des recyclages de produits n’ayant pas réagi. En outre, on obtiendra, en sortie du réacteur, des mélanges dont il faudra séparer les divers constituants si l’on veut obtenir le produit principal avec la pureté souhaitée.Ayant dimensionné le réacteur et défini ses performances, l’étape suivante consiste à déterminer les appareils dans lesquels s’effectuent les opérations unitaires.Méthodes de détermination basées sur le concept d’étage théoriqueLes méthodes de détermination se fondent essentiellement sur les bilans et sur les lois d’équilibres entre phases et visent à calculer le nombre d’étages théoriques Nt nécessaires pour réaliser une séparation donnée. Partant de ce résultat, on calculera le nombre d’étages réels et les dimensions de l’appareil en introduisant les notions d’efficacité et de hauteur équivalente à un étage ou plateau théorique (H.E.T.P.). Ces grandeurs, efficacité et H.E.T.P., sont accessibles par l’expérience. La hauteur de colonne s’écrit: h = Nt 憐 H.E.T.P.La détermination de Nt peut être faite soit par voie graphique, en traduisant les équations de bilans par des courbes et/ou des droites (méthodes de MacCabe et Thiele, méthode de Ponchon-Savarit...), soit par calcul numérique en écrivant toutes les équations pour chaque plateau et en les résolvant.Méthodes «cinétiques» (fig. 5)Elles impliquent une connaissance approfondie des coefficients d’échange ou de transfert entre phases. À la suite des travaux de Chilton et Colburn (cf. biblio, R. Perry), on peut utiliser la notion d’unité de transfert (N.U.T.), grandeur «statique» adimensionnelle qui traduit la difficulté de séparation du mélange considéré, et celle de hauteur d’unité de transfert (H.U.T.), grandeur «dynamique» qui dépend de l’appareil utilisé et qui peut être évaluée expérimentalement ou calculée au moyen de bilans différentiels. La longueur et/ou la hauteur totale s’écrit: h = N.U.T. 憐 H.U.T.Installations pilotes et extrapolation des résultatsIl y a des cas où l’analyse théorique ne permet pas de définir complètement une unité de transformation industrielle à partir de résultats de laboratoire. On se réfère alors à une étude faite sur une installation pilote, qui doit être considérée comme une réduction de l’unité finale de production et non pas comme une extrapolation de l’équipement de laboratoire. Nul n’est besoin de reproduire à échelle réduite toute l’unité; ce qui est nécessaire, c’est de simuler la partie de l’appareillage qui réalise les transformations ou les séparations les plus délicates. Les objectifs d’une installation pilote peuvent être par exemple l’acquisition de données cinétiques physique ou chimique, nécessaires aux calculs du projet industriel, la vérification des hypothèses, la résolution des problèmes d’extrapolation, la démonstration de la faisabilité d’une opération, la mise à l’épreuve des matériaux de construction, l’obtention de produits finis de qualité spécifique, la mise au point des méthodes et des systèmes d’analyse, la formation du personnel... Et, bien sûr, l’installation pilote donne la possibilité de faire des erreurs, dont les conséquences financières ne sont pas catastrophiques, et de les corriger.Cependant, le prix est assez élevé puisqu’il atteint normalement jusqu’à 10 p. 100 du prix de l’installation industrielle. Cela peut sembler beaucoup; en réalité, c’est peu comparé aux pertes de produits et de temps qu’entraîneraient les problèmes et erreurs de démarrage de l’installation industrielle. Les principales raisons du prix de revient «élevé» du pilote sont le coût de l’appareillage, son instrumentation, la nécessité d’avoir un personnel spécialisé, l’approvisionnement en matières premières et le coût de traitement des produits obtenus.Mais à quelle échelle doit-on travailler? Il est difficile de répondre à cette question; on cite souvent des facteurs d’extrapolations compris entre 5 et 15, mais des facteurs 100 ne sont pas inconnus! Très souvent, c’est le matériel dont on dispose qui fixe les dimensions de l’installation pilote.D’autres questions se posent encore: ferat-on fonctionner l’installation pilote en continu? Si l’on opte pour un fonctionnement discontinu, il faudra être très vigilant sur la durée de l’opération. Comment procéder aux prélèvements d’échantillons et à l’acquisition des données? Comment faire un choix judicieux entre les valeurs des différentes variables de façon à minimiser le nombre d’expériences (en utilisant le plan d’expériences, le carré latin, le plan factoriel, etc.)?Une étape délicate consiste ensuite à extrapoler les résultats obtenus sur l’installation pilote pour construire l’installation à l’échelle industrielle.Informatique et génie chimiqueD’immenses progrès ont été faits à toutes les phases de la conception d’un procédé grâce à l’informatique. Les diverses étapes nécessaires pour obtenir le produit principal s’effectueront dans des réacteurs et des contacteurs et mettront en jeu certaines opérations unitaires. Il convient d’étudier les interconnexions entre les appareils et de conduire l’analyse du procédé. Cette analyse s’effectue en résolvant les systèmes d’équations qui traduisent les bilans matière et énergie en tout point de l’installation. On peut ainsi évaluer le procédé en se fixant des critères et envisager son optimisation, qui pourra se faire soit dans le cadre d’une structure figée, par exemple en jouant sur des paramètres physico-chimiques, soit au contraire en modifiant la structure elle-même. Enfin, la dernière phase est la mise au point du système de contrôle du procédé.SimulationDepuis longtemps déjà, on utilise l’ordinateur dans la conception de l’ensemble du procédé pour la simulation, c’est-à-dire pour représenter artificiellement un fonctionnement réel. Les années soixante ont vu la naissance de nombreux simulateurs créés par des équipes universitaires ou par des industriels.Les principaux objectifs d’un programme de simulation sont les suivants: résoudre des équations de bilan matière et énergie pour chacun des réacteurs et chacune des opérations unitaires impliqués; calculer les caractéristiques des courants en tout point de l’installation; déterminer des éléments nécessaires au calcul complet de l’ensemble; estimer les coûts et profits; éventuellement optimiser les conditions de fonctionnement.Ce genre de simulation peut être réalisée à l’aide d’un programme contenant des données spécifiques au problème, des calculs de propriétés physiques, des modèles d’opérations unitaires et/ou de réacteurs et des techniques de résolution numérique.L’idée maîtresse dans l’élaboration des programmes généraux de simulation, utilisables quelle que soit l’industrie, a été de constituer des fichiers, ou bibliothèques, indépendants mais qui soient connectables à l’aide d’un langage d’entrée simple. Dans la plupart des cas, c’est l’approche modulaire séquentielle qui est utilisée: chaque type d’opération unitaire est représenté par un modèle accessible par un sous-programme appelé module. Les courants entrants et les paramètres des modèles étant supposés connus, le module a pour rôle de calculer les courants sortants. La simulation d’un procédé complet est réalisée par appel séquentiel à ces modules, la séquence étant itérative en présence de recyclage et/ou de contraintes. On trouvera sur la figure 6 l’exemple du traitement par simulation, à l’aide du simulateur Prosim mis au point à l’École nationale supérieure des ingénieurs de génie chimique de Toulouse, du cas d’un procédé de conversion de propylène en hexène. Les difficultés rencontrées dans le développement des programmes tiennent pour une bonne part à la nécessité de résoudre des systèmes d’équations non linéaires en ayant une rapidité de convergence satisfaisante: il est indispensable d’accélérer le processus itératif grâce à l’introduction d’algorithmes adaptés. En outre, la simulation numérique permet d’effectuer l’analyse régulière du comportement d’une installation existante, d’étudier des conditions de fonctionnement différentes (incident par exemple), d’évaluer les conséquences de modifications; n’oublions pas son rôle dans la formation des futurs conducteurs d’appareils.Conception assistée par ordinateurOn ne peut parler de conception des procédés sans parler de la conception assistée par ordinateur (C.A.O.), car ce domaine s’est beaucoup développé dans le cas des procédés complexes de l’industrie chimique et parachimique. La C.A.O. concerne le choix des opérations unitaires, de leur ordonnancement, de l’interconnexion de la structure et de la détermination des conditions opératoires: elle se concrétise par la mise au point d’une procédure automatique de conception d’ateliers sans avoir a priori figé leur structure. On peut comprendre toute la difficulté du problème à partir d’un exemple simple.Considérons le cas d’un mélange à n constituants dont on veut séparer les divers composants par distillation, sans récupérer d’énergie, et déterminer la structure optimale du point de vue économique (investissements) ou énergétique (coût d’exploitation). Dans le cas de séparations tranchées, c’est-à-dire si l’un des constituants du courant d’alimentation n’apparaît que dans un courant de sortie, on constate, compte tenu du caractère combinatoire du problème, que pour 4 constituants il y a 5 structures possibles (fig. 7), que pour 5 constituants il y a 14 structures et que pour 10 constituants on atteint 4 862 structures! Dans cet exemple, on n’envisage qu’une optimisation monocritère d’un problème à structure discrète et continue, c’est-à-dire un cas relativement simple. Il permet de comprendre, d’une part, l’intérêt d’élaborer des algorithmes performants afin de réduire l’aspect combinatoire du problème et, d’autre part, la nécessité d’un support informatique adapté.Si l’on considère des systèmes à variables continues, le problème est encore plus délicat à résoudre: il s’agit dans ce cas de déterminer la structure optimale du procédé et les conditions de fonctionnement de chaque opération (taux de reflux, température, débits...). Ces systèmes sont caractérisés par un nombre très élevé de variables continues et de contraintes, très supérieur à 100. On peut citer les cascades, qu’il s’agisse de colonnes à séparation non tranchée, de réacteurs, d’unités de rectification avec récupération d’énergie, etc.Le cas des procédés complexes fait quant à lui intervenir des problèmes de nature mixte avec des variables discrètes pour le choix des unités et des variables continues pour les conditions de fonctionnement. Diverses procédures peuvent être appliquées, par exemple la méthode dite de l’arborescence hiérarchisée: on fixe les conditions de fonctionnement et on étudie les structures possibles. Le nombre de structures augmente très rapidement: si l’on prend 10 constituants et un produit recyclé, on a déjà 9 724 structures possibles; dès qu’il y a deux produits recyclés, on atteint 19 448 structures possibles, et pour 4 produits on en a 77 792! Or la plupart des procédés de génie chimique correspondent à ce type de situation à variables mixtes. La conception assistée par ordinateur s’est orientée vers l’ingénierie assistée par ordinateur (I.A.O.).Contrôle et commande automatique des procédésDès que l’on désire obtenir des produits de qualité constante, assurer la régularité de fonctionnement d’un procédé, réduire l’impact de l’énergie et des matières premières sur le coût de production, le contrôle et l’automatisation s’imposent. Dans une première étape, on a utilisé des régulateurs analogiques à effet proportionnel, intégral et dérivé (P.I.D.) dont les réglages étaient figés. En réalité, pour des raisons très diverses liées à la dynamique du procédé, au vieillissement de l’appareillage, au catalyseur, à l’usure des vannes, etc. (sans oublier l’appréciation par l’opérateur de la situation), on est amené à modifier fréquemment les réglages. Pendant longtemps on a considéré qu’un «mauvais» contrôle était un inconvénient mineur qui ne préoccupait pas le responsable de l’unité ni, par conséquent, le responsable de la conception du projet. À la fin des années soixante-dix, en raison de la situation économique générale, on a été amené à se préoccuper de la consommation de l’énergie et de sa réutilisation. En outre, la pénurie de matières premières et les incertitudes d’approvisionnement ont obligé l’ingénieur de génie chimique à concevoir des installations plus souples, susceptibles d’accepter des matières premières d’origines différentes et de produire des quantités plus ou moins importantes selon les cas.Dans ces conditions, les nouveaux procédés doivent comporter en général moins d’étapes, moins de produits intermédiaires et une meilleure intégration des fonctions et des systèmes, ce qui influe sur le type de contrôle à mettre en place. La mise en œuvre d’un meilleur système de contrôle permettrait ainsi d’augmenter les performances et les marges bénéficiaires. De même, une diminution du nombre des étapes, des stockages intermédiaires et des capacités conduit à adopter des procédés ayant des réponses en ligne plus marquées, ce qui crée des possibilités de contrôle. En outre, compte tenu de l’intégration du procédé, il est nécessaire de traiter celui-ci comme un système à plusieurs entrées et sorties connectées et non plus comme une série de systèmes isolés, équipés chacun d’une boucle de contrôle. Enfin, les variations de débit de matières premières, de produits différents à obtenir, de spécifications différentes demandent que le système de contrôle puisse s’adapter et qu’il ne soit pas dessiné une fois pour toutes. Pour toutes ces raisons, on s’oriente vers l’emploi de système auto-adaptatif: dans un premier temps, les mesures recueillies sur l’installation sont traitées pour faire apparaître les paramètres d’un modèle dynamique, puis cette information est utilisée pour ajuster au mieux les paramètres d’un régulateur.Le modèle doit surtout décrire les interactions du procédé avec le milieu extérieur. Il existe deux types de modélisations: le «modèle de connaissance», dans lequel on introduit les lois physiques régissant les phénomènes, et le «modèle de représentation», dans lequel on choisit a priori la structure d’une expression mathématique liant les entrées et les sorties du procédé.5. Application des principes du génie chimiqueLa préparation industrielle d’un produit implique que le procédé utilisé soit économique, fiable, souple, simple, assure sécurité et hygiène au personnel, respecte l’environnement et donne un produit de haute qualité. En conséquence, l’élaboration d’un procédé est a priori complexe.Toutefois, cette complexité se trouve atténuée par le fait que la majorité des problèmes à résoudre, bien qu’apparemment très spécifiques, peuvent l’être en utilisant judicieusement les principes du génie chimique.Une prise de conscience pendant les années 1980 a induit que ces principes s’appliquaient à tout phénomène de transformation de la matière (et de transfert), et ce quel que soit le domaine considéré (y compris la biologie, les milieux naturels, etc.). De cette généralisation est née une discipline: le génie des procédés, dont le premier congrès national s’est tenu à Nancy en 1987, suivi en 1988 par la création d’un Groupe français du génie des procédés.Difficultés dues à l’industrialisation des réactions et leur préventionUn procédé peut être remis en cause si une seule opération même classique (filtration, distillation, récupération de catalyseur, refroidissement, chauffage) se révèle très difficile (filtration colmatante...) ou si, pour la mise en œuvre, aucun matériau ne convient pour des raisons de corrosion. Si l’on veut pallier ces difficultés, il faut, dès le niveau du laboratoire, être capable de les estimer quantitativement pour chaque opération, puis de les éliminer par des adaptations successives pouvant aller jusqu’à la remise en cause du choix des réactions.Citons quelques exemples d’adaptation:– Une réaction faisant intervenir en milieu aqueux de l’acide chlorhydrique et un produit organique entraîne une corrosion redoutable, alors que des matériaux classiques conviennent avec la vapeur sèche du même mélange.– Pour des réactions en milieu sels fondus, il suffit de retenir les sels dans les pores des grains d’une poudre pour simplifier les problèmes de corrosion, de manutention et de mise en contact avec un gaz.– Si on peut substituer l’attaque d’un minerai par un acide concentré et chaud par une lixiviation avec un acide faible et froid, en augmentant fortement le temps de contact, on évite le broyage, la filtration et des problèmes de corrosion.Le stade pilote permet ensuite de préciser les points délicats, d’étudier les phénomènes inaccessibles au laboratoire (encrassement par exemple) et éventuellement de fabriquer des quantités suffisantes de produit pour le tester en application.Dans le passé, la difficulté primordiale était souvent de construire le réacteur, car on ne disposait que d’un nombre très limité de matériaux résistant à l’agressivité chimique. Les augmentations de capacité ont été conduites avec circonspection car elles ont entraîné parfois des diminutions de rendement ou des défauts de qualité du produit fabriqué. Actuellement, ces problèmes sont plus faciles à résoudre parce que l’on dispose de nouveaux matériaux et d’une technique: celle du génie de la réaction chimique.On élabore peu de nouveaux procédés relatifs à de nouveaux produits. En revanche, on recherche activement des moyens d’améliorer, voire de restructurer les procédés qui existent, en insistant sur la qualité des produits et les impacts sur l’environnement (concept de la technologie propre).Dans un procédé, ce sont les performances du réacteur qu’il faut examiner en premier. Un bon réacteur minimise les opérations de recyclage, de séparation ainsi que les pertes et les rejets.Aperçu sur le génie de la réaction chimiqueUn réacteur est à la fois le siège de phénomènes chimiques et de phénomènes physiques. Ces derniers se divisent en deux catégories: ceux qui sont à dominante hydrodynamique (écoulements monophasiques ou polyphasiques, création et suppression d’interface entre phases, etc.) et ceux qui sont à dominante cinétique (relevant de la science des transferts), soit à l’intérieur d’une phase (homogénéisation des concentrations et des températures par exemple), soit entre phases (dissolution d’un gaz dans un liquide).Les phénomènes chimiques à l’intérieur de chaque phase sont gérés par la thermodynamique qui indique le taux maximal de transformation possible (équilibre chimique) et la cinétique chimique qui fixe la vitesse d’évolution vers cet état. Lorsque cette vitesse est proportionnelle à la concentration d’un réactif, la réaction est dite du premier ordre. Sur ces bases, le calcul de la composition chimique à la sortie d’un réacteur demande que l’on connaisse la composition chimique à l’entrée du réacteur, la cinétique de la réaction, et que l’on dispose d’un modèle représentant les phénomènes physiques.Pour modéliser les phénomènes physiques en milieu monophasique, il est utile d’introduire la notion de réacteurs idéaux. On distingue: le réacteur discontinu parfaitement mélangé , dans lequel la composition est identique en tout point et évolue avec le temps; le réacteur continu à écoulement parfaitement mélangé , dans lequel la composition est la même en tout point et identique à celle de la sortie; les molécules entrantes sont immédiatement dispersées; leurs temps de séjour s’échelonnent de zéro à l’infini; le réacteur continu à écoulement piston , dans lequel le temps de séjour est identique pour toutes les molécules; la composition évolue le long du réacteur. Les réacteurs les plus proches des réacteurs idéaux sont les réacteurs à cuve agitée mécaniquement pour les deux premiers et le réacteur tubulaire pour le dernier (fig. 9 a et e).On dit qu’une association de réacteurs idéaux est représentative d’un réacteur réel et on l’appelle modèle si les courbes de répartition des temps de séjour des molécules qui les traversent sont identiques. La courbe relative à l’association est calculée, et la courbe relative au réacteur est obtenue expérimentalement et commodément sur sa maquette en utilisant la technique des traceurs (cf. analyse et similitude DIMENSIONNELLES). L’association type relative à un réacteur continu comporte, en général, un réacteur piston suivi d’un réacteur homogène, un court-circuit de l’ensemble et une zone morte. Un exemple est donné figure 8. C’est un modèle à trois paramètres indépendants (la fraction du courant qui s’écoule par le court-circuit et les fractions volumiques du réacteur piston et de la zone morte). En fait, ces paramètres se réduisent à un seul, car la zone morte et le court-circuit constituent des défauts à supprimer. Toutefois, ce modèle ne peut pas être retenu en toutes circonstances. La courbe de répartition des temps de séjour de cette association est indépendante de l’ordre dans lequel on place ces deux réacteurs idéaux; en chimie, cette indépendance est limitée aux réactions du premier ordre (les plus fréquentes). Pour les réactions d’un ordre différent, il convient d’envisager un modèle mieux adapté en considérant les écoulements réels (écoulement de type piston faiblement mélangé par une diffusion axiale, macro et micromélange, écoulement à travers des réacteurs agités placés en série).La modélisation en milieu polyphasique tient compte des écoulements réels et prend en considération les phénomènes de transfert entre les phases. Ici aussi, il est important que le nombre de paramètres indépendants caractérisant le modèle soit minimal. Indiquons, à titre d’exemple, le cas complexe du lit fluidisé catalytique gaz/solide tiré de la figure 9. La plus grande partie du gaz s’écoule sous la forme de grosses bulles qui agitent violemment une suspension dense et fluide de particules fines de catalyseur. Sa modélisation s’effectue en général avec deux paramètres (transfert et mélange), et l’expérience montre que très souvent un seul (transfert) est prédominant. L’étude des variations de ces deux paramètres (en maquettes, avec la technique des traceurs) en fonction des facteurs d’action (vitesse des gaz, diamètre et hauteur du lit, dimension des particules) permet de fixer les conditions opératoires conduisant à un réacteur performant.En général, les maquettes, construites en polychlorure de vinyle, sont aisément transformables et les produits utilisés sont inoffensifs (air, eau, solutions aqueuses, poudres inertes, etc.). Toutefois, il est toujours judicieux d’appliquer la technique des traceurs sur un réacteur industriel en cours de fonctionnement.Incidences des phénomènes physiques sur les performances chimiques d’un réacteurNous présentons ci-dessous quelques exemples pour illustrer les incidences des phénomènes physiques sur les performances chimiques d’un réacteur.Exemple 1 . Soit une réaction du premier ordre du type AB. Si on calcule le rapport des volumes des réacteurs idéaux mélangés (V m) et piston (V p) qui conduisent au même taux de transformation x de A en B, pour un même débit de A, on obtient les valeurs consignées dans le tableau 4, qui montre l’intérêt d’utiliser un réacteur à écoulement piston lorsque des taux de conversion très élevés sont exigés.Exemple 2 . Soit deux réactions consécutives du premier ordre du type ABC de constantes cinétiques k A et k B. Supposons que B soit le produit recherché et que C soit inutilisable. L’obtention de B est faible si le temps de séjour est très court (peu de A transformé) ou très long (tout B transformé en C). Il existe donc un temps de séjour pour lequel la concentration en B est maximale. Si l’on calcule pour ce maximum, et en fonction de k A/k B, le nombre de moles de B obtenues par mole de A transformée, on obtient le tableau 5; celui-ci montre pour cet exemple les effets bénéfiques d’un écoulement du type piston et d’une valeur élevée du rapport k A/k B.Exemple 3 . Reprenons l’exemple 2 en supposant que A soit mélangé à un gaz inerte et que sa transformation en B ne puisse se réaliser qu’après dissolution et diffusion dans le liquide qui l’accompagne. Si l’interface entre le gaz et le liquide est insuffisante, la vitesse de transformation de A en B sera ralentie (régime diffusionnel) sans que celle de B en C soit modifiée. Tout se passe comme si le rapport k A/k B diminuait, ce qui est néfaste selon le tableau 5.Ces exemples montrent que l’obtention des performances potentielles d’une réaction chimique nécessite de satisfaire certaines exigences d’écoulement et de mise en contact dans la conception du réacteur. Dans les unités industrielles, les exigences de la réaction concernant les écoulements et les mises en contact entre les différentes phases sont rarement satisfaites. Dans un contexte industriel fortement concurrentiel où les marges sont faibles, un atelier peut devenir déficitaire en raison d’un vice mineur du réacteur.Conception et diagnostic des réacteursLa conception d’un nouveau réacteur ou le diagnostic d’un réacteur déjà exploité impliquent d’évaluer les exigences de la réaction vis-à-vis des phénomènes physiques et de les confronter aux possibilités des appareils susceptibles d’être utilisés. Dans un contexte industriel, les méthodes utilisées doivent être rapides, peu coûteuses et fiables. Il s’agit de dégager par des expériences simples les paramètres essentiels de fonctionnement du réacteur et d’évaluer les ordres de grandeurs (ou au moins les tendances) de leur influence sur ses performances. Illustrons cette démarche par quelque exemples.Exemple 4 . Relatif aux réacteurs gaz-liquide. L’oxydation par l’air du cyclohexane est réalisée industriellement (chaîne Nylon) dans quatre réacteurs du type colonne à bulles (fig. 9 c) associés en série. La réaction, du type ABC, est auto-accélérée; B désigne le produit cherché et C l’ensemble des produits indésirables que l’on se propose de réduire.L’étude de la réaction est reprise au laboratoire en discontinu dans une cuve agitée. On note, pour différentes vitesses d’agitation et un débit d’air choisi, les concentrations en B et C en fonction du taux de transformation de A. La concentration de B passe par un maximum qui augmente avec la vitesse d’agitation puis se stabilise. À cette vitesse d’agitation, correspond une interface air/liquide réactionnel. On admet qu’en créant la même interface spécifique dans les réacteurs on satisfait l’exigence de mise en contact.Il est hors de question de mesurer la valeur de l’interface dans les réacteurs industriels et même dans l’appareil de laboratoire, et, à plus forte raison, d’étudier comment la modifier. On évite cette difficulté en choisissant une réaction chimique test et en formulant une hypothèse. La réaction test est l’oxydation par l’air à température ambiante d’une solution du sulfite de sodium pour laquelle on sait relier la vitesse d’oxydation à la valeur de l’interface. L’hypothèse est qu’il existe une relation univoque entre les valeurs vraies de l’interface en milieu réactionnel et celles qui sont mesurées dans les mêmes conditions hydrodynamiques avec la réaction de référence.Sur les maquettes de l’appareil de laboratoire et du réacteur, à échelle réduite pour ce dernier, les résultats ont révélé une insuffisance d’interface dans le réacteur industriel, qui a pu être corrigée par des modifications très simples, sans atteindre toutefois le niveau de performance obtenu au laboratoire. Une analyse similaire des écoulements a révélé que ces derniers n’étaient pas appropriés. Il aurait fallu faire des modifications trop importantes pour qu’elles puissent être entreprises.Exemple 5 . Relatif aux lits fluides catalytiques gaz/solide (fig. 9 d). Dans l’exemple 4, l’interface gaz/liquide est constituée par des bulles de quelques millimètres de diamètre: d’où la possibilité de réaliser au laboratoire des éléments de volume réactionnel identiques à ceux qui existent industriellement. Dans les lits fluidisés catalytiques, le diamètre des bulles peut évoluer de quelques centimètres à plus d’un mètre (il est très sensible à la dimension des grains et à leurs propriétés de surface). Pour procéder comme dans l’exemple 4, l’appareil de laboratoire (pilote) doit avoir au moins 500 mm de diamètre dans les cas les plus favorables.Pour industrialiser une réaction catalytique (oxychloration de l’éthylène, chaîne du polychlorure de vinyle) du «pseudo-premier» ordre très exothermique, le lit fluidisé était tentant du fait de ses propriétés d’homogénéisation de température. En revanche, on ignorait le taux de transformation accessible. Pour les lits fixes catalytiques, la situation était inverse. Une étude faite sur des maquettes a montré que de très hauts taux de transformation pouvaient être obtenus si l’on savait donner au catalyseur des propriétés physiques adéquates. Le lit fluidisé a été retenu. Dans l’installation industrielle, le taux de transformation a dépassé 99,5 p. 100.Exemple 6 . Ce dernier exemple est relatif au cas d’un liquide dispersé sous forme de gouttes dans un autre liquide et qui se solidifie (polymérisation) en donnant une suspension. Au début de l’étude, il fallait modifier le mode opératoire à chaque changement d’échelle (additifs chimiques en particulier) pour conserver la granulométrie de la suspension. On a supposé que celle-ci, liée directement à celle des gouttes initiales, était fonction de la vitesse en bout de pale de l’agitateur (cisaillement) et du temps écoulé entre deux passages des gouttes par l’agitateur (débit de l’agitateur). La mise en application de cette hypothèse a permis, d’une part de supprimer les effets d’échelle, d’autre part de disposer au laboratoire d’un appareil de simulation des réacteurs industriels très précieux pour améliorer le procédé.Ces exemples montrent que les principes du génie chimique permettent de concevoir, de choisir et d’améliorer les réacteurs à l’aide d’expériences simples; les améliorations n’exigeant souvent que des modifications mineures.À côté de l’outil calcul, une expérimentation raisonnée sera toujours indispensable, car certains facteurs physico-chimiques (facteurs de surface en particulier), bien que déterminants, sont parfois insoupçonnés ou insaisissables dans un modèle.
Encyclopédie Universelle. 2012.